POURCHET Maria "Toutes les femmes sauf une"
Cette romancière est née en 1980.
J’avais lu « Feu » de Maria POURCHET dont tout le monde affirme en chuchotant qu’il s’agit d’une auteure prometteuse.
Pour modifier l’a priori que j’avais au sujet de cette écrivaine, j’ai donc acheté récemment « Toutes les femmes sauf une ».
Ce que j’avais découvert dans la presse au sujet de ce roman m’y avait incité.
Résumé :
Maria POURCHET raconte la douleur de l’accouchement, la naissance difficile du sentiment maternel pour une jeune femme qui a une relation compliquée avec sa mère.
Brutalement, elle dit à ce sujet : puisque dans une mare de sang, de pisse et d’eau, je viens d’apprendre la vérité : je suis un animal ».
Cette réflexion même si elle correspond à la réalité peut choquer, car la narratrice utilise des expressions, des phrases d’une dureté extrême.
Dans ce récit, Maria POURCHET nous livre tout sur son enfance, son adolescence, dans l’est de la France dans les années 1990 où une fille est condamnée à une vie domestique.
La narratrice veut que son bébé, Adèle, qui vient de naître, échappe à cette oralité et à ces gestes qui entravent la liberté des femmes. Pour cela, elle balance avec rage dans un langage violent, cru, tout ce qu’elle ressent et a ressenti sur la relation qu’elle a eue avec sa mère et avec les femmes en général.
Que dire ?
Nous avons tous subi ces désagréables discours familiaux.
Ils furent une réalité, celle d'une catégorie de personnes.
J’aurais donc tendance à penser que les femmes sont les premières ennemies des femmes.
Mais comme pour la lecture, la musique, l’art, personne ne fait le même voyage !
En effet, il y a d’autres vérités plus complexes pour lesquelles toutes les femmes ne réagissent pas de la même façon.
Certaines affirment qu’être enceinte fut la plus belle période de leur vie, qu’elles n’ont pas souffert et qu’elles ont immédiatement éprouvé de l’amour pour ce petit être qu’elles ont mis au monde.
D'autres ajoutent souvent qu’allaiter est primordial pour créer un lien entre l’enfant et la mère.
Elles sont sincères !
Et puis, il y a les autres qui éprouvent d'autres sentiments.
J'ai parfaitement saisi l'intérêt des messages que Maria POURCHET a voulu faire passer dans ce roman.
Mais, il y a des "mais" !
D’autant que la narratrice donne le sentiment de régler ses comptes avec sa mère et avec toutes les femmes.
Les mailles d’un tricot sur la transmission ne se défont pas avec autant de violence. Il faut de l'amour, de la culture, de l'éducation, de la patience, beaucoup de patience !
Et puis, pourquoi n’éprouve-t-on pas plus d’empathie pour ces femmes des siècles passés ? Elles n'avaient pas le choix ! La parole n'était pas libre !
Le passé des uns n’est pas celui des autres et à ce titre il faut respecter le leur.
La narratrice à sa façon a voulu nous faire partager son ressenti. Mais qu'en penseraient : Simone de Beauvoir, Erica Jong, Simone Veil, Marilyn French, Françoise Giroud, Gisèle Halimi, George Sand, Colette, Virginia Woolf, Élisabeth Badinter et tant d'autres .?
La violence est-elle la solution ultime pour exprimer une colère et d'autres sentiments refoulés ?
Le féminisme ne doit pas emprunter uniquement ce chemin.
Quand elle parle de sa mère, la narratrice s'écrie : “Elle ne m’a pas touchée. Je connais de la douceur si peu de chose, sinon la fourrure des animaux”.
J'entends sa colère et je la comprends, mais je souhaite à Maria POURCHET de transformer cette phrase en déversant sur sa petite Adèle une pluie d'amour.
Cet avis n’engage que moi bien sûr !
PS - Cette chronique fut très compliquée à écrire, car même si ce roman comporte une part de vérité, sa violence verbale a impacté mon jugement.
---------------------------------------------------------
Lire l'article ci-dessous sur Maria POURCHER m'a semblé plus intéressant que le roman qu'elle a publié : "Toutes les femmes sauf une''.
Pourquoi revenir sur votre expérience de l’enfantement ?
Maria Pourchet. Parce c’était un choc. Pour en dissiper les effets, il fallait que j’en fasse quelque chose. Je l’ai vécu, comme le séjour à la maternité, dans un état de sidération. Déjà, l’impression dominante, loin de tout ce qu’on m’avait raconté, “promis”, était celle de revenir d’un accident de la route. Sidération aussi parce que tous les repères s’effondrent en 24 heures. Sidération en comprenant qu’il ne s’agit plus de retrouver les repères d’avant, mais d’en inventer d’autres. J’ai eu le sentiment que ce que j’avais projeté pour moi jusqu’alors en termes de liberté, de temps, de réalisation, d’équilibre de vie, de vie amoureuse… serait désormais hors d’atteinte. Comme si je découvrais tardivement les limites de ma condition.
ELLE. Votre narratrice dit : “J’ai raté mon accouchement.” Ça veut dire quoi ?
Maria Pourchet. C’est en écho à la phrase du personnage de la mère : “J’étais sûre que tu allais rater ça, tu n’avais rien préparé.” Pour la narratrice, l’accouchement s’inscrit dans l’injonction permanente à la performance. Une certaine trahison de la société étant de demander aux femmes d’afficher un rapport tranquille à la performance, de laisser croire qu’elle est naturelle et simple. Or c’est faux. Son coût est parfois colossal, d’autant plus lourd qu’il est dissimulé.
ELLE. Les premiers jours à la maternité, c’est le début de l’infantilisation et de la culpabilisation des mères ?
Maria Pourchet. Dans ce monde clos de femmes qui s’occupent de femmes, la narratrice se trouve dans un rapport dominant-dominé et non pas de solidarité. Les soignantes la renvoient à son état d’extrême vulnérabilité, presque comme à une faute. Surtout la nuit. Elle veut, par exemple, confier son bébé à la pouponnière pour dormir et se fait envoyer sur les roses. On ne lui dit pas qu’on est débordé, on lui dit : “Comment vous vous en sortirez à la maison ?” Lui laissant entendre qu’elle n’est pas “à la hauteur”. Cela a fait écho à des phrases entendues depuis toujours : on n’est jamais assez bien, il y a toujours un critère supérieur à atteindre, une fille qui fait mieux. Du coup, écrasée par cette rhétorique dont bien des femmes sont victimes dès l’enfance, on s’écrase tout court. On s’excuse, on retourne dans sa chambre.
ELLE. Vous avez même eu envie de fuir avec le bébé sous le bras ?
Maria Pourchet. De fuir tout court, même sans le bébé ! J’ai ressenti une succession de pulsions animales. Une part sauvage que j’imaginais effacée par une vie de fille bien éduquée, diplômée, dressée. J’ai été envahie d’émotions primaires : la rage, le réflexe de survie, et donc la fuite, oui.
ELLE. L’instinct maternel est un mythe tenace ?
Maria Pourchet. Nous sommes éduquées dans la légende que la capacité à materner vient avec l’enfant, comme un don. Comme si l’on se transformait en mère par la grâce de la naissance. On découvre que cet instinct se forme peu à peu, avec les nuits blanches, les épreuves, la fatigue, les joies, le lâcher-prise. C’est une aventure incertaine. Chez la narratrice, une part de l’effroi du départ vient de ce malentendu. Et si chez elle cet instinct ne se formait pas ?
ELLE. Vous avez eu un petit garçon il y a deux ans. Pourquoi est-ce une fille dans votre livre ?
Maria Pourchet. Parce que j’avais besoin de passer par la fiction pour me confronter à ce sujet. Et pour me préparer à accueillir un jour une fille, perspective qui m’a longtemps terrifiée. Peur de ne pas échapper à la loi de reproduction, de transmettre à ma fille les conditionnements et les limites qu’on se passe de mère en fille, comme on se passe les meubles. Aussi ma narratrice, en dépit de l’intelligence, du discernement dont elle sait par ailleurs faire preuve, craint-elle de traiter sa fille comme les mères et les filles se sont traitées dans toute sa lignée. C’est-à-dire violemment. Notamment à travers le langage, les phrases “criminelles” que les femmes adressent aux femmes.
ELLE. Vous évoquez un tabou, celui de la haine du féminin transmise par les femmes elles-mêmes…
Maria Pourchet. Le récit évoque certaines formes du tort fait aux femmes par les femmes. Le manque de solidarité entre elles. Et surtout entre les mères et les filles. C’est là que l’on attendrait la première amitié, la fameuse sororité. C’est donc là que cette absence est la plus scandaleuse. Dans le roman, le personnage de la mère a comme “guidé” sa fille vers les souffrances, les limites et les déceptions, la haine de soi, qu’elle a elle-même vécues, au lieu de tout faire pour les lui éviter. Même si c’est inconscient, cette loi tacite du “j’en ai bavé, toi aussi” est une trahison, au moins un échec de l’amour. Comme s’il y avait une formation du féminin qui ne prenait de valeur que si l’on passait par des épreuves amères, parfois mortifiantes. C’est quelque chose que l’on retrouve aussi entre les pères et les fils, j’imagine.
ELLE. Comment échappe-t-on à cela ?
Maria Pourchet. La narratrice dit que lorsqu’elle était enfant, elle assimilait le fait de s’en sortir socialement au fait d’être un homme, la liberté à la virilité. Être fille étant manifestement la plus mauvaise carte à jouer. Aussi dit-elle avoir intégré des comportements de garçon et s’être servie des outils d’émancipation qui, à ses yeux d’adolescente, leur étaient réservés : les études longues, “monter à Paris”, cultiver l’indépendance, voire la solitude, une certaine façon de s’habiller, de raisonner, de parler.
ELLE. Devenir mère vous a aidée à accepter d’être une femme ?
Maria Pourchet. Le choc de l’accouchement vous renvoie au féminin d’abord de manière animale et violente. Je me suis vue incapable de prendre une douche ou d’arrêter de pleurer, avec l’impression que ma vie désormais serait unidimensionnelle, nourrir-nettoyer-habiller. C’était le versant terrifiant du féminin. Et puis ce même événement, à mesure qu’il se poursuit comme événement, avec tous ses épisodes comme autant de marches vers l’émerveillement, m’a conduite en quelques mois vers la part lumineuse du féminin, à l’autre extrémité de l’axe. C’est là que la maternité est un voyage vertigineux. Je sais maintenant que c’est aussi moi qui suis née à travers cette naissance.
ELLE. En tant que femme libre ?
Maria Pourchet. Oui, délestée du poids des injonctions négatives et invalidantes. Mais je dois ma liberté aux femmes de ma famille, toutes d’une intelligence hors du commun… mise au service de la vie domestique. J’ai mesuré la nécessité de mon émancipation au degré de leur frustration, que je constatais tous les jours. Elles m’ont donné la rage, et aussi la patience.
LES MOTS QUI TUENT
Dans le livre, la mère de la narratrice est dépeinte à travers les phrases qu’elle prononce, qui enferment, soumettent et disqualifient les filles. Exemples ? “Ne te fais pas remarquer”, “Tu t’es encore crue au-dessus”, “Arrête de penser à toi”, “Je ne suis pas ta copine”, “Et moi, tu crois qu’on m’a dit que j’étais belle ?”, “Coiffée comme ça, tu fais tête à claques”, “Arrête de prendre des poses”, “Ne fais pas ton allumeuse”, “Crois pas que ça sera facile”, “T’es pas la première, tu seras pas la dernière”, “Tu crois qu’elles font comment, les autres ?” Des mots ordinaires et violents, que l’on entend dans bien des familles.
(1) “Avancer”, “Rome en un jour”, “Champion” (éd. Gallimard).
Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 31 août 2018.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 6 autres membres